Gavrinis, une chambre


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“La lourde grille de fer qui servait de porte, sans serrure et sans cadenas, donnait sur le noir. À l’intérieur, faisant craquer allumette sur allumette, nous avancions pas à pas. Chaque nouvelle lueur tirait du néant un dessin fantastique, vision inattendue s’étei- gnant aussitôt. Dans les intervalles, sans les voir, nous savions déjà que les dessins nous entouraient de toute part. Dans le noir, le silence s’épaississait, un bourdonne- ment dans l’oreille. Puis la flamme fusait, tremblait, éclairait pendant un instant ce qui semblait une danse. Au-delà de la flamme, le regard s’enfonçait dans le noir profond, à l’infini peut-être. Mais derrière nous, la clarté de l’entrée était rassurante comme une bouée. Si soudain la terreur devenait insupportable, il était toujours possible d’y chercher secours. Mais finalement ce n’était pas nécessaire.

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C’était tout à fait comme si nous étions les premiers à venir là depuis que l’oubli avait couvert le souvenir de ceux qui ont bâti cette merveille. Les premiers au milieu de ces gravures scintillantes sur les murs un peu humides sous les doigts. C’était une première fois, comme à chaque fois, sans doute. Nous avons cherché à faire tenir des bougies, collées à la cire, aux dalles du sol. Puis, sans trépied, masquant les flammes avec les mains, les paumes renvoyant leur lumière vers les parois, nous avons fait des photos.

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Deux semaines de vie précaire nous avaient préparés un peu à aborder ce qui nous attendait. C’était les derniers jours de notre traversée de la Bretagne, du nord au sud, avec Michel Moreau, ami peintre et moi au volant de ma première voiture d’occasion, nous guidant à l’aide du petit “Que sais-je ?”, de dolmen en menhir. Judith Reigl, la première, m’avait parlé des mégalithes et je sentais bien dans ses paroles qu’il y avait là quelque chose de l’ordre du merveilleux et de l’inconnu. Il fallait y aller coûte que coûte. Nous dormions sur le sable, au pied des rochers roses de Trébeurden, réveillés par la mer qui remontait, ou bien dans des maisons en construction, nous levant tôt, dans l’odeur humide du ciment, avant l’arrivée des ouvriers. Nous faisions frire des pommes de terre au feu allumé sur la plage avant la tombée de la nuit. Une première couche de confort, d’habitudes, de civilisation déjà lézardée, nous étions sur le qui-vive, les yeux prêts à s’ouvrir.”

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Extrait du texte de Janos Ber in Illés Sarkantyu. “Gavrinis, une chambre”, Éditions de Domaine de Kerguéhennec, 2017
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