Face au vif


...

“Il y a le temps de la nature, inexorable et cyclique, celui des saisons, de la vie et de la mort, qui est la trame de toute chose. Et puis il y a le temps de l’art, qui, pour Illés Sarkantyu, offre un possible contretemps. Non que l’artiste ait la naïveté de croire qu’il puisse maintenir ce que la vie défait, arrêter ce qui est voué à s’en aller, mais parce que, à la manière d’un grain de sable dans une mécanique parfaitement huilé, ses images viennent, pour un moment, suspendre et éclairer ce qui aura lieu.

...

Au domaine de Kerguéhennec, où il a travaillé en résidence, durant l’année 2013, Sarkantyu a déployé, dans ce qui semble d’abord n’être qu’une glane d’images, son art du contrepoint. Si les saisons sont ici la dominante, captées en une suite de photographies venant saisir le parc du domaine comme une surface sensible, variant au rythme quaternaire du cycle saisonnier, il y a, dans cet ensemble d’œuvres qu’il est juste de regarder dans l’ordre de leur présentation livresque, des images intercalaires qui viennent, en mode mineur, perturber la grande chronologie de la nature. Pierres, sac plastique, fragments d’os ou d’animaux, fenêtres, brèches, graffitis et traces s’invitent, à la façon d’une intrusion, dans ce qui serait sans cela une pure célébration des quatre saisons.

...

...

L’impureté de cette intrusion, l’artiste l’avoue parfois par un noir et blanc qui vient attenter au principe de variations lumineuses et colorées sur lequel résident les photographies des saisons. Ce qui pourrait n’être qu’une recherche formelle du désaccord, un jeu délibéré sur l’hétérogénéité, témoigne, bien au contraire, de la vision du monde qu’élabore Illés Sarkantyu d’œuvre en œuvre. Qu’il inventorie les archives du photographe Lucien Hervé où qu’il saisisse Kerguéhennec, Sarkantyu ne cesse en effet de nous rappeler que l’impur est la vérité salutaire de la vie. En photographiant, pour archivage, les dossiers de rangement de Lucien Hervé, c’était déjà cela qu’il mettait au jour : cette fantastique résistance poétique du vivant à toutes les tentatives abstraites de lui imposer l’ordre d’un classement. Conserver la mémoire du vif c’est, nécessairement, laisser sa place à ce que l’on n’attend pas au sein de ce que l’on croit connaître.”

...

...

Extrait du texte de Pierre Wat in Illés Sarkantyu. “Face au vif”, Éditions de Domaine de Kerguéhennec, 2016
Découvrez les publications du Domaine de Kerguéhennec : https://www.kerguehennec.fr