ACCMADIAL

Aidants des malades d'Alzheimer
Exposition photographique du 31 mai au 30 juin 2022, Maison des Sciences de l’Homme Ange-Guépin (Nantes)

Entretien
Le photographe / Le chercheur
13/09/2021

Le chercheur
Travailler sur l’aidance, travailler sur le discours des aidants, rencontrer régulièrement des aidants, assister même de loin à quelques étapes décisives de la fin de vie, est une expérience sensible, qui ne laisse pas indifférent. Mais en tant que chercheur, nous récoltons des données, nous les analysons, nous produisons des résultats et lors de cette transformation, la chair, les odeurs, une part de la vie physique de nos interlocuteurs s’estompent. C’est pour la retrouver un peu que nous avons eu envie de te rencontrer. Ce que l’on connaissait de ton travail n’avait rien à voir avec l’univers que nous avions envie que tu montres. Ce sont des images plutôt minérales qui ont créé notre désir, des focus sur des détails familiers, si familiers que nous ne les voyons pas, nous, qui ont éveillé notre curiosité. Comment notre proposition de nous suivre chez certains aidants que nous connaissons maintenant depuis quelques années a-t-elle trouvé sa place dans ton travail ?

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Le photographe
Dès que vous m’avez parlé de votre projet, j’ai eu envie d’y participer. On a tous – les uns les autres – une histoire plus ou moins personnelle avec la maladie, une idée de notre évolution et de notre déclin. Nous avons aussi, peut-être par nature, une part de fragilité nourrie de doutes, d’interrogations parfois confuses, de peurs… J’ai été immédiatement intrigué et touché par cette proposition d’aller à la rencontre des aidants et de joindre mes photographies à vos analyses scientifiques. Depuis une quinzaine d'années, je réalise des films sur les artistes et la création artistique. Ces périodes de tournage sont d’une grande intensité dans les rapports humains, cela explique peut-être que je me sois détourné de la représentation de la chair dans mon travail personnel. Mais par des objets, des documents d’archives, des lieux photographiés, je reste intimement lié à l’humain. Votre projet m’a amené à revenir sur un terrain plus traditionnel de la photographie. J’ai eu l’opportunité de rentrer chez des gens, dans leur histoire, de me laisser affecté afin d’être « à l’écoute » de ce qu’ils vivent. Dans un laps de temps très court, j’ai pris la place de l’intrus dans la relation construite entre le chercheur et l’aidant. Un intrus qui s’éloigne de la conversation de temps en temps pour montrer le hors cadre : la maison, le jardin, des traces de la vie familiale hors de la situation actuelle et de la maladie.

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Le chercheur
Ce n’est pas un simple élargissement du champ que tu apportes. Tes images, parce qu’elles dialoguent avec nos textes, parce qu’elles proposent un contre-champs, recomplexifient la perception du vécu des aidants tel que nous cherchons à en rendre compte à partir de leur propre discours sur ce qu’ils vivent et mettent en place pour traverser cette étape.

Le photographe
J’aurais pu choisir une autre option, mais j’ai demandé à Frédéric Pugnière-Saavedra de m’accompagner partout. J’ai souhaité que les images se construisent dans la confiance qu’il a créée, que vous, les scientifiques créez avec les aidants. Je pense intimement que mes images sont baignées de cette atmosphère. Je crois aussi qu’en choisissant ce protocole de travail, j’ai évité d’autres formes encore plus dangereuses d’artificialité ou de crispation. J’ai passé peu de temps avec les familles et leurs histoires se sont parfois percutées dans mon imaginaire. Mais en pouvant entrer rapidement dans leur intimité ou au moins dans des espaces intimes, j’ai pu sentir des choses. Je me souviens d’une personne chez qui on sentait un vide, on sentait l’absence de quelqu’un. Je crois vraiment qu’en s’intéressant à l’environnement d’une personne, à des détails même socio-culturels, on enrichit le propos.

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Le chercheur
Je t’ai déjà un peu parlé de la raison pour laquelle nous avons eu envie d’associer le regard d’un artiste et celui d’un photographe en particulier à la restitution de notre travail. Et toi, comment vois-tu l’articulation entre nos textes et tes images ?

Le photographe
Je reprendrais bien le terme de contrechamps que tu as utilisé mais j’y vois surtout une forme d’autonomie. Je crois que l’image par sa nature est au-delà de toute parole et explication. Ce type de photographie demande une acuité mentale : il faut avoir un comportement éthique, une stratégie de déplacement et d’espacement vis-à-vis de son sujet, des choix esthétiques, une certaine idée du déroulement lors de la prise de vues. Le nombre d’inconnus de la prise de vue – j’entends par là tous les paramètres non prévisibles voire non maitrisables – fait que, d’une part, les réponses techniques doivent être ajustées tout au long de la séance et, d’autre part, que je n’entends qu’une partie de ce qui se dit. Je veux dire par là, qu’une fois derrière l’œil mécanique, je suis physiquement présent mais déjà dans mon imaginaire. Il faut en tous cas que l’image se fasse. Si elle est réussie, elle dépasse son auteur. Le fait que mon arrivée soit annoncée a certainement aussi une incidence sur l’attitude des gens. Ça me fait penser à la photographie d’autrefois, quand tu allais faire réaliser ton portrait à l’atelier et que tu t’y préparais. Cette forme de mise en scène dit quelque chose. Faire un pas de côté donne accès à autre chose. Et puis il y a des moments où il faut « baisser la garde ». Je me souviendrai toujours du silence qui a précédé le ruissellement de larmes sur les joues d’une jeune femme. Je me suis senti incapable de photographier.

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Le chercheur
Oui, on en revient à ce que je te disais en introduction, nous touchons ici au « sensible ». Joindre nos regards nous protègent probablement de certaines maladresses. Ton point de vue sur les aidants est individuel finalement. Il est plus individuel que le nôtre qui cherchons à représenter une figure de l’aidant. C’est peut-être aussi en cela qu’il est complémentaire au nôtre.

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